Des patients sont déprogrammés pour leur cure de chimiothérapie, notamment pour les patientes atteintes du cancer du sein. Le Centre Pierre et Marie Curie (CPMC) n’arrive plus à répondre à la forte demande.
Les différents services d’oncologie médicale à travers le pays font actuellement face à de nombreuses difficultés d’approvisionnement en médicaments anticancéreux en raison des ruptures de stock. Une liste de produits anticancéreux hospitaliers en rupture a été d’ailleurs transmise, la semaine dernière, par des prescripteurs aux plus hautes autorités du pays alors que l’enquête lancée il y a deux mois par l’inspection générale de la Présidence n’a pas encore livré ses résultats.
Des patients sont déprogrammés pour leur cure de chimiothérapie, notamment pour les patientes atteintes du cancer du sein.
Le Centre Pierre et Marie Curie (CPMC) n’arrive plus à répondre à la forte demande.
« Jamais le service d’oncologie médicale du CPMC n’a connu une telle rupture de médicaments, et ce, depuis septembre 2020, dénoncée par les oncopédiatres et qui perdure à ce jour, et nous sommes en juin 2022», a déclaré le Pr Kamel Bouzid, le président de la Société algérienne d’oncologie médicale et chef de service d’oncologie du CPMC.
Il lance un cri d’alarme et craint le pire pour les mois à venir. «Habituellement, nous avons des tensions sur certains produits en été. Mais actuellement, le problème est en encore plus grave. La situation va s’empirer. La pharmacie de l’hôpital alerte déjà sur de nombreux produits dont les stocks arrivent à épuisement. Nous avons de quoi tenir deux à trois semaines. Dans quelques jours, certaines chimiothérapies orales ne seront plus disponibles. C’est insoutenable», a-t-il alerté.
Et de souligner: «Le même constat est fait par de nombreux collègues un peu partout dans les centres anticancer, et en plus, ces ruptures concernent le traitement du cancer du sein mais aussi toutes les autres localisations de cette maladie avec une donnée nouvelle qui est la rupture de produits d’oncologie pédiatrique.»
Selon lui, les raisons de ces ruptures sont liées, en dehors des raisons exogènes, notamment la Covid-19 et le problème de la disponibilité de la matière première, à «la multiplicité des intervenants. Nous avions un intervenant, qui est le ministère de la Santé, maintenant, nous en avons trois, voire quatre, qui se rejettent mutuellement la balle alors que des patients et les prescripteurs sont livrés à eux-mêmes».
Pour le chef de service d’oncologie médicale, accuser les journalistes de diffuser des fake news et les chefs de service de mal programmer les prévisions «est scandaleux».
«Ils sont pris en bouc émissaire alors que tout est vérifiable. Même si ces prévisions sont erronées, qu’est-ce qui empêche la PCH de consulter les archives, les pharmaciens et les prescripteurs pour voir que les prévisions ont été faites correctement et depuis 40 ans», a-t-il souligné en faisant référence aux dernières déclarations du directeur général de la PCH.
«La situation s’est aggravée», a-t-il déploré, avec le manque de médicaments de support dans la prise en charge des cancéreux, notamment, les facteurs de croissance associés à de fortes doses de chimiothérapie, les antivomissements, les antidouleurs, etc.
«Il y a des malades qui vont mourir en ayant mal. C’est scandaleux d’en arriver là. C’est insupportable», a-t-il regretté.
Concernant les thérapeutiques innovantes qui sont toujours en attente de commercialisation, le Pr Bouzid rappelle qu’«on prétend les financer avec les économies induites par les biosimilaires, mais ces derniers ne sont ni des génériques ni des copies.Ces derniers vont effectivement générer des économies, mais il faut faire attention à leur utilisation, d’autant que nous n’avons pas le droit de switcher. Cela fait quatre mois que n’avons pas un produit biologique de référence, Herceptine de Roche, alors que nous avons des malades qui sont sous ce traitement et nous n’avons aucun écrit ni directive écrite du ministère de la Santé autorisant de swticher avec un autre médicament.Il paraît que des collègues le font avec un produit importé d’Inde ou de Turquie, mais ils n’ont pas le droit de le faire».
Le Pr Bouzid indique qu’il suffit de mettre en place une réglementation permettant l’interchangeabilité comme cela se fait ailleurs dans le monde.
«Cela fait 12 ans que nous le demandons, mais personne ne veut prendre la responsabilité. Il suffit de copier les réglementations américaine, européenne, japonaise et jordanienne», a-t-il ajouté.
Interrogé sur le nombre de malades nécessitant ces traitements, le Pr Bouzid estime que le nombre importe peu, tout en affirmant qu’il y a plus de 500 malades.
«Qu’un seul patient ne puisse pas bénéficier de son traitement est très grave pour moi. On nous pousse à choisir les patients à traiter. Sur quel critère dois-je dire que tel malade doit être traité ou non au détriment d’un autre patient», a-t-il encore déploré, et de signaler que le CPMC reçoit des malades de toutes les wilayas.
«Cela fait six mois, j’ai adressé un courrier à la directrice de la pharmacie au ministère de la Santé à propos de ces ruptures, et elle m’avait répondu que cela relève du ministère de l’Industrie pharmaceutique. Il n’y a plus rien dire», relève-t-il.
S’agissant de la radiothérapie, le Pr Bouzid a noté que malgré l’effort fourni pas les pouvoirs publics dans ce domaine, avec l’acquisition d’un nombre important d’accélérateurs, qui sont passés de 7 en 2011 à 60 en 2022, le problème de gestion se pose toujours dans le secteur public: «Les pannes sont récurrentes dans les hôpitaux publics et n’arrivent jamais dans le secteur privé. Il y a de quoi s’interroger et demander des explications aux gestionnaires et aux radiothérapeutes.»
A la question de savoir comment le service gère cette situation, l’oncologue affirme n’avoir «rien entre les mains. Le directeur de la PCH a promis que tout sera réglé d’ici la fin juin. C’est bientôt la fin du mois, nous attendons et nous espérons avoir les produits», a-t-il dit, tout en affirmant qu’il est disposé à rencontrer les autorités de santé pour plus d’éclaircissements et «particulièrement le directeur de la PCH, s’il le souhaite, pour qu’on puisse se dire les choses et trouver les solutions, car la situation est grave».