L’une des réformes les plus réclamées en Algérie, par les experts et les entreprises, est celle de la fiscalité, pour une meilleure justice fiscale et aussi pour lutter contre l’évasion qui prive les caisses de l’Etat de sommes colossales.

Nul ne peut prétendre pouvoir déterminer le montant de l’évasion fiscale, car elle est en grande partie induite par l’informel qui est par définition opaque, donc non mesurable.

Ce secteur représenterait 10.000 milliards de dinars (70 milliards de dollars), selon le président de la République. Même une partie des sommes dues par l’activité légale n’est pas recouvrée, dans des proportions et des conditions tout aussi inconnues.

Pour les experts et les spécialistes, la réforme fiscale passe par un élargissement de l’assiette fiscale et la baisse des taux d’imposition. Pour lutter contre l’évasion fiscale et l’économie informelle, la seule voie viable aux yeux de nombreux experts dans le contexte algérien, est de rendre attractive aux yeux des opérateurs la bancarisation de leurs activités.

C’est mathématique. En augmentant le nombre de contributeurs, on peut augmenter les recettes fiscales et compenser le manque à gagner dû à la baisse des impôts et taxes. Quand c’est un problème structurel, le bâton, autrement dit la sanction, seul ne fonctionne pas. Il faut la carotte et le bâton. C’est-à-dire des mesures incitatives couplées à des sanctions sévères en cas de fraude.

Même si des actions ont été entreprises pour élargir l’assiette fiscale, leur impact reste limité, en raison des taux d’imposition parfois élevés. Comme on le constate actuellement avec le changement de régime de certaines professions libérales qui protestent contre des taux élevés.

L’élargissement de l’assiette fiscale n’a jamais réellement eu lieu, hormis par quelques dispositions introduites dans les différentes lois de finances, et qui, quand elles sont appliquées, ne sont pas d’une grande incidence sur les recettes globales.

Les recettes budgétaires de l’Algérie étant constituées de la fiscalité pétrolière et de la fiscalité ordinaire (hors hydrocarbures), la parade à chaque baisse sensible des cours du pétrole a été, à défaut de l’élargir, de presser davantage l’assiette de fiscalité ordinaire par différents impôts directs ou indirects.

Même lorsque des augmentations directes ne sont pas instituées, la pression prend d’autres formes, comme l’exclusion de certaines dépenses réelles des charges déductibles.

Les barèmes actuels font de l’Algérie, au moins en comparaison avec les autres Etats du Maghreb, un pays à la législation fiscale très désavantageuse pour les entreprises.

Une étude réalisée en 2017 par le cabinet spécialisé PwC et la Banque mondiale avait fait ressortir que les entreprises algériennes étaient taxées (impôts et charges sociales) à 65,6% contre 60% en Tunisie, 49% au Maroc et seulement 32% en Libye. La moyenne mondiale de taxation des entreprises était cette année-là de 46%.

C’est ce même choix de la facilité qui détermine aussi en Algérie la nature des impôts les plus recouvrés. Il s’agit de ceux prélevés à la source, donc essentiellement l’impôt sur le revenu global (IRG) et l’impôt sur le bénéfice des sociétés (IBS).

IRG et TVA : des tendances qui s’inversent.

La structure des recettes de la fiscalité ordinaire en Algérie donne deux grandes catégories d’impôts : les impôts sur les biens et services, comprenant la TVA sur les importations et la TVA sur l’activité intérieure, et les impôts sur les revenus et les bénéfices, comprenant essentiellement l’IRG et l’IBS.

Les montants prélevés au titre de la première catégorie ont toujours été supérieurs à ceux de la seconde, mais la tendance a commencé à s’inverser à partir du début des années 2000.

La lecture des différents rapports annuels qu’établissait la Banque d’Algérie, permet de le constater. Entre 2002 et 2018, les impôts sur les revenus (IRG) et les bénéfices des sociétés (IBS) sont passés de 23,2 % à 44,7% des recettes fiscales globales. Dans la même période, les différentes TVA (locale et importations) ont reculé de 46,3 à 40,2%, et les droits de douanes de 26,6 à 11,8% des recettes globales.

La Banque d’Algérie le constatait déjà dans son rapport de 2010 « Sur la période 2004-2010, le poids relatif des principales composantes des recettes fiscales hors hydrocarbures, ont évolué en sens opposé (…) Si les poids relatifs des impôts sur les biens et services et celui des droits de douane dans les recettes fiscales hors hydrocarbures ont reculé respectivement de 47,2% et 23,9 % en 2004 à 39,6 % et 13,9 % en 2010, en revanche, celui des impôts sur les revenus et bénéfices a augmenté de 25,5% en 2004 à 43,5% en 2010 »>.

« Les prélèvements sur les revenus, salaires et bénéfices des sociétés, ont augmenté relativement plus vite que ceux opérés sur l’activité économique (impôts sur les biens et services et droits de douane) », lit-on encore dans le rapport de la Banque d’Algérie.

La Banque d’Algérie expliquait la diminution de la part des droits de douane dans les recettes fiscales << par la baisse des taux dans le cadre des différents accords douaniers avec des pays ou unions économiques >> tandis que le recul du poids relatif des impôts indirects dans les recettes fiscales « résulterait, très probablement, du poids croissant des activités informelles dans l’activité économique nationale hors hydrocarbures ».

L’inversion de la courbe des prélèvements est un signe d’une forte évasion fiscale et de la prolifération de l’informel au détriment de l’économie réelle.

La facilité du prélèvement à la source.

Dans le dernier rapport sur la situation économique et financière du pays établi par la Banque d’Algérie, celui de 2018, les mêmes parts étaient globalement maintenues. Le pourcentage des impôts sur les revenus (IRG) et les bénéfices (IBS) avait légèrement baissé sur une année (-1,2%) mais demeurait prépondérant, avec 44,7% des recettes fiscales.

La fiscalité sur les biens et services avait gagné 3,4 points (par rapport à 2017) mais les droits de douane avaient continué de reculer (11,8% contre 13,9 % en 2017) en raison, expliquait la Banque d’Algérie, des exonérations de droits de douane des importations de collections CKD de véhicules et autres.

« Le faible poids relatif de la fiscalité indirecte par rapport à la fiscalité directe dans les recettes fiscales en 2018 et son recul de 2002 à 2015, en net contraste avec l’accroissement de la valeur ajoutée dans les activités économiques hors hydrocarbures, révèle l’ampleur de l’évasion fiscale et la relative inefficience du recouvrement fiscal », a pointé la Banque d’Algérie dans son rapport 2018.

Outre l’ampleur de l’évasion fiscale, le rapport de la Banque d’Algérie soulignait aussi la part importante des impôts << plus faciles » à recouvrer, donc ceux prélevés à la source.

« La tendance à la hausse du poids des impôts sur les salaires dans les impôts directs, qui se confirme en 2018, et la part plus élevée de la TVA et autres taxes sur les importations dans la fiscalité indirecte, reflètent la prédominance des prélèvements à la source, nettement plus aisés à recouvrer que les impôts sur les bénéfices et la TVA sur les activités intérieures », analysait la Banque d’Algérie.

Cela, en dépit de l’importance des assiettes de ces impôts et des « excédents nets d’exploitation des sociétés », a noté la Banque d’Algérie, soulignant « l’urgence d’une politique déterminée de réformes dans la sphère fiscale pour améliorer le recouvrement de ce type d’impôts ». Une réforme qui, quatre ans après, se fait toujours attendre.